Catch Them Before They Fall. The Psychoanalysis of Breakdown de Christopher Bollas

« Ce livre est consacré aux défis soulevés par le travail auprès de personnes en thérapie ou en analyse qui, soudainement ou progressivement, indiquent des signes d’effondrement, qui pour différentes raisons, ne peuvent être traités par une approche clinique ordinaire » (2013a, p.1-2)[1]. C’est ainsi que Christopher Bollas engage son nouvel ouvrage au titre évocateur « Catch them before they fall, The Psychoanalysis of Breakdown ».bollas Si pour l’auteur « aucune psychanalyse n’est ordinaire » (Ibid., p.103), sans doute pouvons-nous considérer qu’il n’est pas non plus un auteur ni un analyste ordinaire. Dans ce court essai, particulièrement audacieux et novateur, Christopher Bollas aborde avec son style si personnel, la question des aménagements du cadre des cures analytiques pour les patients « au bord de l’effondrement » [on the verge of breakdown]. Lorsqu’au cours d’une thérapie ou d’une analyse un patient est sur le point de s’effondrer, lorsque que le risque de décompensation émerge, l’hospitalisation et la médication prennent alors souvent le relais de l’analyse. Mais faire hospitaliser le patient, interrompre le processus analytique à ce moment si particulier de l’existence, c’est prendre, selon Bollas, le risque de gâcher ce que cette expérience de désorganisation recèle en tant que potentiel transformateur. Si l’analyste refuse d’accompagner ou ne peut accompagner ce mouvement d’effondrement, il risque d’augmenter inutilement la souffrance du patient, ossifier l’effondrement et gâcher l’opportunité de renouveler le self de l’individu. Pour ce faire, différentes voies s’offrent alors à lui : proposer des séances supplémentaires, aller jusqu’à deux séances par jour, sept jours par semaine, ou bien encore proposer pendant trois jours consécutifs des séances d’une journée complète. À l’image de ce que peut être l’effondrement psychique, l’introduction de cet ouvrage est ainsi directe, sans ambages, parfois radicale. Les chapitres ultérieurs viseront essentiellement à expliquer les motifs et les modalités de cet « accompagnement psychanalytique » si particulier. Le motif paraît simple mais Bollas le déploie avec une rigueur et une technicité précise, affinée, contenue dans une exigence théorique qui semble primordiale pour justifier de tels aménagements.

Témoignant de sa pratique avec la plus grande sincérité, un peu comme une confession, Bollas convient avoir gardé pour lui pendant près de vingt ans ces aménagements techniques. Désormais âgé de soixante-dix ans, il révèle ce qu’il lui fut délicat d’avouer, comme s’il s’agissait là de quelque pratique coupable. Il nous expose ainsi, avec quelques précautions de rigueur, les raisons de cet ouvrage, un livre qu’il considère comme une forme de « témoignage du passé » (Ibid., p.9) et pour lequel il précise avoir dû surmonter nombre de résistances avant de se décider à le publier[2]. Il justifie l’écriture de ce texte par deux motifs : d’une part, transmettre sa conviction profonde que la psychanalyse est « le traitement de choix des patients qui s’effondrent » (Ibid., p.7), et d’autre part, répondre aux critiques qu’il a pu recevoir à chaque fois qu’il prit le risque d’évoquer ces aménagements du cadre analytique. Bollas souhaite ainsi que ce livre puisse être un lieu de partage, de rencontre et de débat entre ceux qui, un jour, ont travaillé suivant ces voies de prolongement du cadre psychanalytique afin de l’adapter aux patients en situation de crise.

Broken selves

Dans le premier chapitre l’auteur nous invite à observer les impasses de l’analyse chez certains types de patients qu’il nomme les « patients au self brisé » [broken selves], des patients qui ont pu, par le passé, rencontrer un traumatisme majeur provocant une crise profonde, un effondrement. S’ils s’en relèvent seuls, les cicatrices laissées par cet effondrement vont marquer le self de l’individu, entravant toute possibilité d’évolution ultérieure. Cette notion de « self brisé » n’est ni un diagnostic, ni une nouvelle conception nosographique[3], précise Bollas, car il est ici au cœur d’une conception processuelle du fonctionnement psychique. « La restructuration de la vie mentale signifie que les axiomes avec lesquels cette personne [le patient] vivait sont désormais altérés » (Ibid., p.15). Pour ces patients les incidences sont nombreuses, ils ne vont plus rechercher de l’aide extérieure, ils vont se couper de leurs affects pour fuir leur vulnérabilité, ils vont désinvestir les objets du monde, délaisser leurs ambitions, leurs projets, leurs espoirs, leurs désirs… Ces personnes, indifférentes à leur propre vie, semblent déprises de tout espoir de changement. S’il peut persister le fond d’un vrai self, celui-ci n’est qu’un « self fantôme : une triste représentation de ce que la personne aurait pu devenir » (Ibid., p.17). Ils tentent d’exprimer une issue à leur désespoir dans des projets improbables, s’engageant dans des rêveries et ambitions impossibles, traduisant les restes d’un idéal dissocié. Ces parts isolées du self seraient pour Bollas comme un attachement à des aspects non-humains, des formes d’enclaves ou de retraits autistiques. Ces « patients en série » [serial patient people] souffrent selon lui de n’avoir pu mettre du sens sur leur effondrement passé, du fait d’une médication précoce et répétée qui a entravé toute élaboration possible de l’expérience vécue. Aussi, c’est pour tenter de pallier à ces organisations défensives produisant des self brisés, que Bollas, à partir des années 80, va progressivement engager une modification de sa pratique.

Les signes de l’effondrement

Afin de pouvoir leur offrir un cadre adapté, il est nécessaire d’identifier précisément les signes et indices cliniques de l’effondrement, tel est l’objet du chapitre suivant : « Signs of breakdown ». Ces signes cliniques concernent tant le patient que les modalités de réception par l’analyste. C’est en effet à partir d’une position rigoureusement analytique, qui suppose d’être à l’écoute de notre propre façon de recevoir les contenus transmis par les patients, la façon dont ils nous « impressionnent » et dont nous les « enregistrons » psychiquement, que cette sémiologie se dessine.

L’analyste perçoit un changement, une mutation dans l’idiome du patient, à partir du signal d’angoisse ressenti dans la modalité d’écoute de son patient. Le discours du patient change de rythme, de structure, le self commence à ressentir les effets d’une pensée et d’une mémoire qui se fige, l’analyste se doit alors de mobiliser une attention spécifique aux éléments ayant pu concourir à cette désorganisation qui s’annonce.

(…)

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Desveaux Jean-Baptiste, « Catch Them Before They Fall. The Psychoanalysis of Breakdown de Christopher Bollas », Revue française de psychanalyse, 3/2015 (Vol. 79), p. 916-924.

URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2015-3-page-916.htm
DOI : 10.3917/rfp.793.0916


Plan de l’article

  1. Broken selves
  2. Les signes de l’effondrement
  3. The guidelines : les aménagements en question
  4. De l’expérience émotionnelle à la perlaboration
  5. Des questionnements pour l’avenir (de la psychanalyse)

[1] Toutes les citations de cet ouvrage sont issues de traductions personnelles.

[2] Bollas, 2013b.

[3] Il mentionne les contre-indications pour de tels aménagements du cadre : les hystéries malignes [malignant hysteric] (cf. Bollas, 1999, 2013b), pour qui l’expérience de la régression aurait une finalité gratifiante en soi. Il met par ailleurs en garde quant à l’usage des séances étendues dans les cas de forte paranoïa et chez les patients borderline (p.107).

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