Appréhension du caractère à partir des écrits de Christopher Bollas
Quelques caractères se dressent effrontément sur la page. Solidaires entre eux, ils en viennent à former des mots, faisant discrètement germer en nous des sensations, des images, des pensées. Comment comprendre que ces quelques signes soient suffisants à véhiculer de telles significations, plurielles et à la fois si idiomatiques ? S’érigent alors des ensembles plus complexes, des phrases soutenues par la force du style qui émerge peu à peu. Ces caractères typographiques, première forme d’appréhension du sens, ont une structure entendue, déterminée, attendue et préconçue, mais les mots qu’ils dessinent, dès lors que ceux-ci se mettent à danser, dressent devant nous la créativité propre à la pensée humaine, et plus spécifiquement, au fonctionnement psychique de l’auteur. Ces quelques traces posées là sur la feuille de papier ne manquent pas de caractère, et pour autant, elles sont bien loin des calligraphies japonaises où fond et forme se retrouvent soutenus par la question du geste et du trait. Le caractère typographique, forme déterminée et close, embrase le papier d’émotions par son agencement avec d’autres. Ces quelques signes sont au service d’une cause bien plus grande, celui du sens, du style, des voies d’expression de la personnalité de celui qui écrit, laquelle vient l’espace d’un instant, tenter de rencontrer celle du lecteur qui découvre suivant son propre style, son intériorité à partir des pensées d’un autre. Dans toute lecture, le self du lecteur rencontre celui de l’auteur, comme l’analyste découvre au sein de la cure le self de son analysant[1]. Par le biais de l’écriture le self trouve une voie d’expression singulière, il se met en forme, il in-forme le lecteur, tout en s’informant lui même. En lisant, nous accédons au style, au caractère de l’auteur, expression partielle de son idiome ainsi transposé en forme l’espace d’un instant.
Voilà comment je pense pouvoir résumer ma rencontre avec les travaux de Christopher Bollas, où rêveries et théorisations se mêlent à l’associativité propre au fonctionnement psychique. Ces lectures, un peu à la périphérie de la littérature analytique française, m’ont conduit à déceler un abord singulier de la notion de caractère.
Du « character » au caractère
Le caractère est, en psychanalyse, une notion trouble dont la polysémie et l’insaisissabilité conceptuelle sont saillantes. Christopher Bollas va s’intéresser à cette notion dès ses premiers écrits (1974) jusqu’à ceux plus récents (2011) d’une manière inédite, proposant de considérer le caractère comme un élément de la vie psychique normale et ordinaire et non seulement comme un trait pathologique. Bien que cette notion ne soit que rarement au centre de ses propos, la lecture de l’ensemble de ses travaux nous permet de constater que celle-ci apparaît suivant des occurrences régulières, dessinant un rythme d’arrière fond, une discrète ligne mélodique qui ne se perçoit qu’à l’écoute répétée. Les modalités que Bollas utilise pour transcrire ses pensées et sa conception de la métapsychologie sont parfois déroutantes pour le lecteur non averti, et à la fois, elles lui semblent aussi intimement familières[1]. Ces travaux étant non traduits à ce jour, le cheminement que je propose s’appuie sur la notion anglaise de « Character » dont les significations courantes sont aussi diversifiées que celles en langue française.
(…)
Lire la suite sur cairn.info (accès libre et gratuit)
Desveaux Jean-Baptiste, « L’idiome, le self et le caractère. Appréhension du caractère à partir des écrits de Christopher Bollas », Revue française de psychanalyse, 4/2014 (Vol. 78), p. 990-1001. https://doi.org/10.3917/rfp.784.0990
URL : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2014-4-page-990.htm
Résumé – Ce texte propose une présentation de la notion de caractère à partir des travaux de Christopher Bollas. Le caractère est ici considéré comme le moyen d’expression de l’idiome humain, le noyau du vrai « self ». Le caractère est aussi porteur de formes inconscientes qui se déploient dans toute relation. Ces formes qui se communiquent (relation interformelle) viennent s’associer et complexifier l’idée de relations basées sur des communications de contenus (relations intersubjectives). Ces deux formants ouvrent l’accès à une écoute enrichie au sein de la relation analytique, permettant la prise en compte du fond structurant le narcissisme primaire tel qu’il s’exprime dans l’actuel.
Mots clés – caractère – self – idiome – forme – communication inconsciente – narcissisme primaire
[1] Le langage de Bollas possède cette caractéristique d’être faussement simple. Si l’abord est accessible à chacun du fait de l’usage de termes courants, la complexité conceptuelle apparaît lorsque nous saisissons qu’il utilise ces termes suivant un mode éminemment singulier (idiomatique), en leur conférant une signification jusqu’alors inconnue.
[1] Il nous faut ajouter que l’analysant, par la fonction de médium du self de l’analyste, découvre son self à partir de sa capacité à jouer avec celui-ci.
Références bibliographiques
- Bollas C. (1974), « Character: the language of self », International Journal of Psychoanalytic Psychotherapy, 3, 1974, p. 397-418.
- Bollas C. (1987), The Shadow of the Object, Psychoanalysis of the Unthought Known, New York, Columbia, University Press, 1987.
- Bollas C. (1989a), Forces of destiny, Free Association Books Ed., Londres.
- Bollas C. (1989b), Les forces de la destinée. La psychanalyse et l’idiome humain, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
- Bollas C. (1992), Being a Character. Psychoanalysis and self experience, Routledge, Hove, 1993.
- Bollas C. (2007), Le moment freudien, trad. fr. A. de Staal, Éd. Ithaque, 2011.
- Bollas C. (2008), « Projective invitation », European Psychotherapy, vol. 8, n° 1, 2008, p. 49-52.
- Bollas C. (2009), Free associations, in The Evocative object word, Routledge, Hove, 2009, p. 4-29
- Bollas C. (2011), « Character and interformality », in The Christopher Bollas Reader, Routledge, Hove, 2011, p. 238-248.
- Focillon H. (1943), La vie des formes, Paris, Puf, 1996.
- Milner M. (1950), On not being able to paint, trad. fr. Rêver peindre, Paris, Puf, 1976.
- Roussillon R. (2004), « La dépendance primitive et l’homosexualité primaire en double », Revue française de psychanalyse, vol. LVIII, n° 2, p. 421-439.
- Roussillon R. (2008), Le transitionnel, le sexuel et la réflexivité, Paris, Dunod.
- Roussillon R. (2012), Manuel de pratique clinique, Paris, Elsevier Masson.
- Winnicott D. W. (1959), « The Fate of the Transitional Object », Psycho-Analytic Explorations, Harvard University Press, 1989, p. 53-58.
- Winnicott D. W. (1960), « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self », Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1970, p. 115-131.
- Winnicott D. W. (1971), Jeu et réalité, Paris, Gallimard Folio, 1975.