Tumultes, violences et contentions : le quotidien des pratiques en ITEP pour adolescents

Paru dans la revue Cliniques, Érès, n°16, 2018

Un adolescent insulte, il nargue, provoque, pousse à bout. Un autre menace au loin, ou bien simule un coup tout proche de nous. Un adolescent qui nous échappe, qui court au loin et nous balade. Une bagarre entre deux adolescents : intervenir ? Peut-être… mais comment ? Les laisser faire, juste un instant… Un adolescent qui nous bouscule, nous donne un coup, tente de nous étrangler… pour jouer ? Un éducateur qui plaque au mur, repousse, met au sol un adolescent. Un autre qui s’assoit sur un adolescent et l’écrase de tout son corps. L’indifférenciation n’est pas loin, et si nous regardions la scène d’un œil extérieur, nous pourrions être subjugués par la violence et le plaisir exprimé dans l’épuisement corporel partagé. Moment de décharge mutuelle, la contention est toujours au risque de l’expression du sadisme de l’adulte sur l’enfant. Mais après tout, l’insupportable impuissance à laquelle ils nous confrontent mérite bien que nous nous laissions parfois aller…

Chaque jour, la clinique des adolescents en ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) nous confronte à ces scènes d’une violence déconcertante. Face à ces mouvements bruts produits par les adolescents, émergent parfois en retour des réponses radicales, immédiates ou violentes, signes de nos souffrances face à ces vécus d’impuissances partagées. Le constat récurrent « on ne peut pas faire autrement» émerge trop souvent comme seul recours pour éviter toute problématisation, pour évacuer toute conflictualisation intrapsychique, là où, dès lors que la violence s’agit mutuellement, nous sommes aux prises avec une impasse de l’ordre de l’impensable/impansable : quelque chose ne peut être soigné. La réponse attendue pourrait être celle de posséder plus de bras, que les personnels soignants interviennent avec leurs corps pour soutenir le travail de contention des éducateurs. L’idée est ici de prendre le pari inverse, de venir tenter d’étayer, par la pensée, ces scènes impensables, ou pour le moins, d’essayer de proposer de la contenance là où émerge la contention, de tenter d’introduire du jeu dans ces situations en impasse.

[…]

Résumé : Fuite, agitation, provocation, insultes et violences physiques constituent le quotidien des pratiques en ITEP pour adolescents. Cet écrit propose d’interroger les modalités de réponses physiques parfois opérées par les professionnels pour tenter de contenir par le corps, ce qui ne peut être contenu émotionnellement ou psychiquement par les adolescents. La contention physique, dès lors qu’elle semble trop récurrente, voire systématisée, est au risque d’être entendue comme une rétorsion envers les troubles adolescents.

Mots clés : contention, contenance, violence, adolescents borderline, pratique éducative

Pandemonium, Violences and Restraints: Teenagers’Everyday Life in Therapeutic and Educational Institutions

Abstract: Escape, turmoil, provocation, couv cliniques-16insults and physical violence constitute the daily practice of adolescent therapeutic and educational institutions. This article questions the modalities of physical responses sometimes delivered by the professionals trying to contain through the body what cannot be emotionally or mentally contained by teenagers. Based upon current literature on the subject and clinical case studies, the author demonstrates how physical restraint, when too frequent or systematic, may be understood as a retaliation for adolescent disorders.

Keywords: Restraint, countenance, violence, borderline teenagers, educational practices, crisis, institution.

Plan de l’article

  • La crise, les cris et la fonction messagère
  • Phénoménologie de la « crise »
  • Du cri à la parole, passage par le registre de l’insulte
  • Entre fuite et provocation : l’errance dans l’institution
  • Un jeu de « cache-cache » ou de « caché coucou » dégénéré
  • Sur le contact, la contention et la contenance