Vient de paraître dans le numéro 242 (3) de la revue Le Coq-Héron, Érès.
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Depuis quelques années, une nouvelle forme d’angoisse est apparue au sein des manifestations cliniques ordinaires chez certaines personnes : la crainte d’un effondrement climatique ou d’un effondrement du monde. Cette crainte, qui se situe entre la peur et l’angoisse, s’exprime par un sentiment de perte de confiance envers l’environnement écologique et peut trouver écho pour le sujet dans la crainte de se retrouver désemparé, saisi par un état de détresse agissant de manière lancinante. Je propose ici d’explorer les formes de manifestations de cette crainte, que l’on retrouve parfois sous les termes d’« éco-anxiété » ou de « solastalgie » dans la littérature spécialisée [1].
Contexte sociétal et écologique
Nombre d’adolescents et jeunes adultes ne croient plus en la perpétuation possible des générations après eux ou, pour le moins, considèrent que leur existence sera précocement et radicalement confrontée à des souffrances issues des bouleversements climatiques. De savoir si ces changements climatiques auront lieu n’est plus une question à se poser, étant donné qu’ils sont déjà en cours, et ce depuis de plusieurs années déjà [2]. Ces modifications climatiques et environnementales, bien que connues depuis les années 1970 [3], n’ont pas été enrayées, et prennent désormais la forme de crises ou de catastrophes. Lorsque nous évoquons une catastrophe, il nous faut envisager non pas un événement unique et isolé qui engendrerait le déclin de l’humanité, mais une série d’événements se développant par vagues successives et de plus en plus fréquentes, et dont chacune accélère la dégradation des conditions de vie pour les humains sur la planète. Ces vagues trouvent pour origine le réchauffement climatique à une échelle planétaire, engendrant des bouleversements polymorphes qui transforment l’ensemble de l’écosystème végétal et animal [4]. Le vivant tout entier est menacé, et l’humanité apparaît tant comme un facteur concourant à cette menace que comme l’objet de celle-ci. L’origine anthropique de ces bouleversements induit un légitime sentiment de responsabilité chez certains sujets, parfois de culpabilité ; par ailleurs, les générations« Millenials » et « Gen Z [5]» demandent à ce que leurs aînés rendent des comptes, étant donné que leurs activités n’ont pas eu le temps de générer des conséquences sur le changement climatique.
Les personnes qui manifestent cette crainte spécifique envisagent de ne pas pouvoir mourir de vieillesse ou de ne pas parvenir à profiter sereinement d’un processus de maturation et de vieillissement ordinaire. Tout comme les conflits armés (par exemple, les deux guerres mondiales) ont marqué fortement et durablement la génération des personnes directement concernées, cette crainte d’un effondrement climatique semble marquer singulièrement les dernières générations, à la différence de celles qui les ont précédées. Il ne faut pas voir en ce sentiment un vécu de désespoir ou de morosité individuelle, bien que cela puisse parfois être le cas. Considérant la généralisation de ces ressentis, il semblerait plus sensé d’accueillir ces expériences pour ce qu’elles sont : une lucidité marquée.
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Plan de l’article
- Contexte sociétal et écologique
- Incidences, entre mobilisation et abattement
- Reconnaître et accueillir les éco-angoisses en séance
- Une catastrophe située entre dedans et dehors
- Un effondrement à la temporalité incertaine
- Des angoisses informes qui nous viennent du futur
- Conséquences sur la psyché individuelle
- Conséquences sur nos paradigmes théoriques
Résumé
Cet article propose d’explorer les craintes d’un effondrement climatique dont les manifestations s’expriment parfois lors des séances analytiques. L’éco-anxiété peut trouver différents destins, tels la colère, l’abattement, le déni, ou encore la perte de capacité à se projeter dans l’avenir. S’agissant d’un processus qui n’a pas encore eu lieu, cet effondrement confronte le sujet à la difficulté de se le représenter. La crise que provoque la perspective de cet effondrement est aussi l’occasion de réinterroger certains paradigmes psychanalytiques, afin de considérer les enjeux spécifiques à l’environnement global du sujet.
Mots-clés: crainte de l’effondrement, effondrement climatique, crise climatique, angoisse, éco-anxiété, angoisse environnementale, désespoir existentiel, éco-psychanalyse, psychanalyse, solastalgie.
Résumé: Cet article propose d’explorer les craintes d’un effondrement climatique dont les manifestations s’expriment parfois lors des séances analytiques. L’éco-anxiété peut trouver différents destins, tels la colère, l’abattement, le déni, ou encore la perte de capacité à se projeter dans l’avenir. S’agissant d’un processus qui n’a pas encore eu lieu, cet effondrement confronte le sujet à la difficulté de se le représenter. La crise que provoque la perspective de cet effondrement est aussi l’occasion de réinterroger certains paradigmes psychanalytiques, afin de considérer les enjeux spécifiques à l’environnement global du sujet.
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Desveaux, J.-B. (2020). La crainte de l’effondrement climatique: Angoisses écologiques et incidences sur la psyché individuelle. Le Coq-héron, 242(3), 108-115. https://doi.org/10.3917/cohe.242.0108